Conseil lecture et entretien: Bernard Minier écrit l’horreur

Un conseil lecture du #Festivaldepolar Nuit blanche de #Mons pour une fin de semaine à se faire observer par

Un œil dans la nuit (Bernard Minier)

Morbus Delacroix est, selon les uns un pur génie, selon les autres un monstre absolu et un faiseur. Il faut dire que Morbus a été réalisateur de films d’horreur. Il a connu la gloire grâce à des opus violents, totalement noirs et franchement gores mais qui témoignaient d’une grande maîtrise artistique. Pour obtenir ces effets portés aux nues par les amateurs du genre, il poussait à bout ses acteurs et surtout ses actrices, les menant sans complaisance ni compassion aux limites du supportable. A la mort ? Aujourd’hui, Morbus vit retiré du monde, au fond des Pyrénées, après le scandale – dont la mort de son actrice fétiche –  qui a entouré sa dernière œuvre, Orpheus, dont jamais personne n’a rien vu, en dehors de quelques photos de tournage.

Judith Taillandier, étudiante en esthétique du cinema, a décidé d’écrire une thèse sur Delacroix qui, contre toute attente, a accepté de la recevoir chez lui et de répondre à ses questions. Mais sur la route qui va la mener à la propriété de Delacroix, les signes menaçants s’enchaînent. Judith ne risque-t-elle pas sa vie ou son âme en s’approchant de Morbus ?

Au même moment, Servaz est appelé sur une étonnante scène de crime, dans une chambre de l’Hôpital psychiatrique Camelot : l’assassin de Stan Du Welz, ancien spécialiste des effets spéciaux de Morbus, s’est acharné sur lui et l’a longuement torturé avant de le tuer d’une atroce manière.

Bientôt, les cadavres s’enchaînent et Servaz est confronté à l’enquête la plus douloureuse de sa carrière.

Récemment Bernard Minier a accepté de d’en dire un peu plus au Festival Nuit blanche du Noir.

NbdN : Bernard Minier, vous ne cachez pas que, pour écrire ce roman, vous avez visionné plus de 200 films d’horreur et généralement entre 21h et 1heure du matin. Pourquoi vous infliger cette torture ?

Bernard Minier : Ce n’était pas du tout une torture, au contraire, j’ai pu découvrir un genre que je ne connaissais que de loin, par les classiques comme L’exorciste ou Massacre à la tronçonneuse. Evidemment, je me suis aidé de revues de cinéma comme Allô Ciné pour sélectionner d’entrée de jeu des films de qualité. Et quand, malgré tout, le film que je visionnais était un vrai nanar, je ne persévérais pas. Mais dans ce cinéma si particulier j’ai rencontré quelques vraies pépites : notamment les films d’horreur coréens qui sont très écrits et très aboutis. J’ai placé en fin de roman une liste des 150 films d’horreur que j’ai sélectionnés parmi tous ceux que j’ai vus. Elle sera peut-être un bon point de départ pour les lecteurs qui voudraient aborder ce genre de films.

NbdN : Comment expliquer la séduction que le thriller trash ou les films d’horreur exercent sur les lecteurs et les spectateurs ?

Bernard Minier : Les films d’horreur parlent de nous, de nos obsessions, de notre intimité la plus profonde. Mais en même temps, ils nous permettent de mettre ces cauchemars à distance et de nous rassurer car nous savons, puisque nous sommes au cinéma, que lorsque l’aiguille empoisonnée approche l’oeil où elle va se planter, l’aiguille est fausse et l’œil ne risque rien. Et pourtant nous détournons la tête, nous ressentons presque la souffrance de l’œil et de l’esprit qui anticipe la douleur ! Le cinéma d’horreur, qui constitue une niche très spécifique du 7ème art,  est le seul genre aujourd’hui où l’on peut encore tout dire et tout montrer.

NbdN : Vous êtes un auteur très « visuel » et certaines de vos scènes d’ouvertures sont considérées désormais comme des morceaux d’anthologie. Vous aimez la peinture et vous vous en êtes inspiré parfois. Aujourd’hui  vous faites du cinéma d’horreur le centre de votre roman. Faut-il opposer le pouvoir de l’image au pouvoir des mots ?

Bernard Minier : Il y a une immédiateté de l’effet dans l’image qui jouit d’une sorte de pouvoir obscène sur notre esprit. Mais pour tous les films de Morbus, j’ai inventé le scénario et les plans séquences avant de les traduire en mots.  D’ailleurs, j’aimerais beaucoup voir tournés certains de ces plans, notamment le dernier du film Le Monstre,  que Morbius a écrit d’après la Belle et la Bête ! Aujourd’hui, on constate une véritable obsession pour l’image. Chacun filme les moments de sa vie. Par exemple, quelqu’un qui assiste à un feu d’artifice regardera plutôt comment il se présente dans la vidéo de son smartphone que de regarder le feu d’artifice lui-même.

NbdN : Quel est le rôle de  l’enquête autour de laquelle se développe le roman ?

Bernard Minier : C’est une manière d’expliquer le chaos dans lequel l’histoire est plongée, une manière de donner du sens à ce qui nous entoure et qui en a de moins en moins. Par exemple, Judith est atteinte apophénie, c’est-à-dire une obsession à trouver des signes dans tout ce qu’elle observe autour d’elle, mais bien entendu elle ne repère que des signes qui lui sont directement adressés. Cela lui permet une certaine lecture de sa vie. Même si dans le cas de cette maladie la lecture est erronée. Pour l’enquête c’est pareil, il faut repérer les signes, les comprendre et avancer vers une solution qui rétablisse l’équilibre. Quel qu’en soit le prix.

NbdN : Ce onzième roman s’ouvre sur un rêve de Servaz dans lequel il revoit tous les meurtres qui ont jalonné sa carrière jusqu’ici, la mort, la violence, la stupidité… Et au long du récit on le voit de plus en plus épuisé, en questionnement par rapport à son métier de flic, son rôle de père. L’absence de Léa lui pèse. Mais vous choisissez de terminer sur une  fin ouverte qui n’apporte pas de réponses. Pour Servaz, ce roman n’est-il pas celui de la mélancolie ?

Bernard Minier : De la mélancolie, je ne crois pas. De la lucidité plus probablement. Oui, la fin est ouverte parce que  nous vivons en ce moment une période très troublée, de pandémie,  de guerres, d’interrogations. C’est une période dont nous ignorons totalement sur quoi elle va déboucher. Tout est possible. Comme sur une inquiétante fin de roman ouverte. C’est angoissant.

C’est du grand Minier que l’on retrouve ici dans un roman très complexe, très documenté, original et passionnant de bout en bout. Encore mieux que d’habitude ou presque! Et une mention particulière pour la superbe couverture en noir et blanc conçue par Bruno Barbette. (CD)

Un oeil dans la nuit. Bernard Minier. XO Editions, 2023.

Vous trouverez ce livre chez votre libraire habituel, évidemment! Sinon, commandez Un oeil dans la nuit sur Librel, le site des libraires francophones indépendants de Belgique.Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à inculq@gmail.com . Pour une lecture aisée, ce texte n’est pas genré.


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