Il y a quelques jours, Mireille Calmel, de passage à Bruxelles, a répondu à quelques questions du Festival Nuit blanche du Noir!
Nuit blanche du Noir : Mireille, pouvez-vous nous présenter l’origine de cette nouvelle série, L’or maudit, qui vient étoffer la liste déjà longue de vos romans ?
Mireille Calmel : Il s’agit de la deuxième série avec le même personnage. Dans la série précédente, Margaux de Dante était aussi l’héroïne mais le roman était écrit à la première personne. Margaux y racontait son histoire de jeune châtelaine dont le frère est Templier. Il vient de lui envoyer un message pour l’avertir qu’il lui a trouvé un mari, un homme extraordinaire d’une vallée voisine. Margaux prépare donc ses noces mais au jour dit personne ne se présente. Au bout de quelques temps d’inquiétude, Margaux se rend à la Commanderie de son frère et on lui apprend qu’il a quitté l’ordre, qu’il est defroqué. Mais en principe on ne quitte pas l’ordre du Temple ! Ce n’est donc pas normal du tout. Et quand Margaux se rend dans la famille de son futur époux, elle découvre que cet homme dont lui parle son frère n’existe pas ! A partir de là tout s’enchaîne, on incendie son château, des moines sont assassinés… Cette nouvelle série c’est en quelque sorte la suite de la vie de Margaux. Et tout ça, c’est une histoire vraie !

NbdN : Pourquoi vous êtes-vous passionnée pour une histoire qui se passe au 14ème siècle ?
Mireille Calmel : Cela fait 24 ans que j’écris des sagas historiques, toujours situées à peu près dans la même période, car le Moyen âge c’est vaste ! Mais toutes les séries obéissent au même protocole d’écriture qui m’est particulier car je suis une cartésienne qui vit avec des phénomènes paranormaux depuis très longtemps ! Ça se traduit par des rêves récurrents. C’est comme si j’étais dans une salle de cinéma : je vois se dérouler un film, mais je ressens toutes les douleurs physiques ou morales de tous les personnages. Je ne suis pas impliquée dans l’histoire mais j’éprouve toutes les sensations. Quand je me réveille ça s’arrête mais si je me rendors ça reprend au même endroit ! Et ça peut durer des jours, des semaines, voire des mois. Jusqu’à ce que j’aie des noms, des lieux qui me permettent de commencer mes recherches. Et, dans 95% des cas, je retrouve les dates, les traces, les personnages, les faits tels que je les ai vus dans mon rêve. A partir de là, je vais me mettre à fouiller pour développer mon livre parce que ce que je rêve correspond plus ou moins à 50 pages du livre. Je vais chercher dans les archives départementales, nationales ou même privées. Ce n’est pas le cas en Aquitaine où tout a été dispersé avec la Guerre de 100 ans mais dans la vallée du Razès, il y a encore des fond privés. Certaines grandes familles ont gardé des documents. Et puis je fais appel à des amis médiévistes, des historiens, toute personne qui peut me renseigner sur la période et la situation que j’ai rêvée. Là, je pensais en avoir terminé avec Margaux mais une lectrice m’a contactée pour me dire qu’elle avait hérité de son grand père un vieux manoir du XIVeme et que, dans le grenier, il y avait des coffres bourrés d’archives de toutes les époques. Elle venait de lire Le Templier de l’Ombre et le nom de Margaux lui a rappelé certains documents. Du coup, je suis allée chez elle, j’ai fouillé et j’ai trouvé plusieurs documents qui m’ont permis d’avancer dans l’histoire. Notamment, l’attaque du loup blanc que je raconte dans L’or maudit est attestée par acte notarié !
Quand je me dis cartésienne je veux dire que j’ai besoin de preuves. Et si le loup blanc est attesté… Je ne vais pas contre l’histoire ! J’ai appris à vivre avec mes « bizarreries » et, heureusement, les frères Bogdanov m’en ont donné des explications assez rationnelles, par le fait que j’aie un cerveau réceptif à certaines fréquences, ou à des ondes, émises au Moyen Age. Je me dis que si ce n’est pas explicable aujourd’hui ce le sera peut-être dans 20 ans. J’ai fini par l’accepter, je ne peux pas aller contre cela. Et de toutes façons, aussi longtemps que je n’ai pas écrit cela m’obsède !
NbdN : Dans ce roman un de thèmes importants est celui de la filiation. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette problématique ?
Mireille Calmel : Quand on découvre une histoire, on découvre aussi toutes ses facettes et ce qu’elles impliquent. Par exemple, le personnage de Guillaume de Nogaret, premier conseiller du roi Philippe le Bel, est très ambigu. C’est lui qui a signé l’ordre d’arrestation des Templiers, il a chassé les juifs de France, s’est approprié leurs biens, bref, il n’est pas particulièrement sympathique mais, à la fin de sa vie, il se retrouve face à ses origines cathares qu’il a cachées pendant longtemps. Je trouvais très intéressant de le confronter à ses peurs d’enfant, à son abandon et de voir son évolution face à ça. Je me suis servie de cette question sur la filiation pour donner une autre dimension au personnage.
NbdN : C’est un sujet très « contemporain » en somme, et dans ce roman vous donnez une vision du Moyen âge très « moderne » qui a les mêmes « moteurs » qu’aujourd’hui : la cupidité, le goût du pouvoir, la maitrise du pouvoir par la maitrise de l’information,… On n’a pas vraiment l’impression d’être au Moyen âge !
Mireille Calmel : Les gens ont une fausse perception du Moyen âge. En réalité c’est une période très proche de la nôtre. Par exemple, les femmes travaillaient ! La seule vraie différence c’est évidemment l’absence des outils technologiques. Mais on mène les enquêtes comme aujourd’hui, la lutte pour le pouvoir et la conquête de richesses est la même. Les lecteurs de polars ont toujours une appréhension à lire des thrillers historiques, ils n’imaginent pas que l’intrigue soit si proche de nous, si facile à lire et qu’on peut s’immerger sans difficulté dans une autre période.
NbdN : Une autre référence surprenante, c’est « le pouvoir de la norme ». Par exemple la gémellité est considérée comme diabolique. Or vous l’utilisez de façon récurrente, comme miroir. Pourquoi ?
Mireille Calmel : Je n’ai pas choisi. Les documents que j’ai découverts allaient en ce sens. La gémellité était, à l’époque, un moyen de repérer les sorcières. Une femme qui accouchait de jumeaux devait être brulée vive car elle était marquée par le diable. C’est une réalité historique qui a duré longtemps, jusqu’au 18eme. J’écris des thrillers historiques donc je ne suis pas libre de ce que j’écris. Je suis tenue par le contexte religieux, social, politique… Je ne peux pas me permettre des libertés avec l’histoire. Je dois respecter les dates de naissance et de fin de vie de mes personnages. Mais, évidemment, je peux être plus libre et broder sur leurs sentiments, leurs pensées. Et je peux bien sûr inventer des personnages secondaires. Mais la sœur jumelle de Margaux a vraiment existé. Elle s’appelait Loba, La Louve, dans la réalité. Ce qui est étonnant puisqu’elle dirigeait une meute de loups. Par contre, j’ai changé son nom sur les conseils de mon éditrice car j’avais déjà utilisé ce nom dans un précédent roman, La louve cathare.
NbdN : Evoquer le rôle de l’inquisition dans un triller historique nous renvoie à une réalité qu’on a oblitérée : la violence dont cette institution a fait preuve et l’ « intégrisme » médiéval que l’on place aujourd’hui dans un contexte presque uniquement contemporain et loin des valeurs chrétiennes.
Mireille Calmel : C’est pour cela que je vous disais à quel point le Moyen âge est proche de nous. Nous n’avons pas toujours été les gentils. Ni envers les musulmans ni envers les nôtres ! Les massacres se sont enchainés : les Cathares, les Protestants, des Chrétiens soupçonnés de sorcellerie ou autre, …
NbdN : Votre roman est comme un miroir, un rappel à nous-mêmes !
Mireille Calmel : Absolument. C’est la raison pour laquelle il peut être lu par des lecteurs qui n’ont pas l’habitude des romans historiques. Et c’est vrai pour tous mes livres. Ce qui explique sans doute pourquoi, parmi mes lecteurs et lectrices, j’ai beaucoup de passionnés de polars et de thrillers ! Et, plus surprenant encore, un lectorat qui rajeunit. Sans doute attiré par la « magie » que l’ont trouve dans certains de mes textes. Et pourtant, la magie au Moyen âge, ce n’est pas de la magie, c’est le quotidien. Tout ce qu’on n’expliquait pas était magique !
L’or maudit. Mireille Calmel XO, 2024
Synthèse Christine Defoin
