Question 1
Cher R.J. Ellory, je m’appelle Anne ; je suis la vice-présidente de l’asbl InCulQ. Il s’agit d’un groupe de dames fans de polars et de littérature noire, c’est à dire du genre de romans que vous écrivez. Notre association a son siège à Mons, une ville de Belgique assez connue en Angleterre pour son Histoire, en particulier la Première Guerre Mondiale. Comme vous le savez, nous organisons annuellement un festival dédié au genre noir qui s’appelle, en toute logique, « Nuit Blanche du Noir » et vous étiez invité à la quatrième édition, cette année, en 2020. Malheureusement, la crise sanitaire mondiale en a décidé autrement…
J’ai conscience de votre sensibilité à ce problème, ayant lu votre très beau poème intitulé « Toutes les choses que l’on considérait comme acquises » et ma première question sera, dès lors, d’ordre personnel : comment allez-vous, R.J. ? Comment va votre famille et comment le monde culturel anglais survit-il à la situation sanitaire ?
R.J. Ellory – réponse 1
La première chose que j’aimerais dire est à quel point il est désolant que je n’aie pas pu venir à Mons. Il y a très longtemps que je ne suis plus allé en Belgique et j’avais très envie de revenir.
Je voudrais saluer tout le monde, les organisateurs, les lecteurs et toutes les personnes liées au festival, dont j’espère qu’il rencontrera beaucoup de succès. C’est vraiment dommage de ne pas être parmi vous mais les circonstances actuelles ne le permettent pas et on fait ce que l’on peut.
Donc, pour remplacer ma présence à Mons, j’ai reçu une série de questions auxquelles je vais tenter de répondre au mieux. La première question concerne mon bien-être et celui de ma famille. Nous allons bien ! Nous sommes en confinement depuis huit mois et il semblerait que ça va durer encore un bon moment. Mais on en retire le meilleur. Mon épouse et moi sommes mariés depuis affreusement longtemps. Nous nous entendons bien, donc ça n’a pas vraiment posé de problème. Notre fils vit ailleurs et il a sa propre famille. Nous sommes tous en sécurité et en bonne santé, et j’espère que c’est également le cas de chacun d’entre vous.
Le confinement amène ses propres défis et ses propres difficultés à surmonter, comme vous le savez, et nous faisons de notre mieux. Heureusement, je suis habitué à travailler à la maison : j’écris de chez moi depuis toujours. Ce qui me manque vraiment, ce sont les tournées promotionnelles, les visites à mes amis, les concerts live avec mon groupe. Mais nous verrons l’autre facette du confinement d’ici peu et j’attends avec impatience l’explosion d’initiatives et de créativité auxquelle les gens travaillent en ce moment et que nous allons découvrir sous peu.
Question 2
Vous avez étudié l’Histoire de l’Art, vous êtes photographe – comme le montre bien votre compte Instagram -, vous êtes musicien, vous jouez de la guitare, vous jouez de la trompette, vous avez un groupe de rock … Dès lors, comment se fait-il que vous ayez choisi l’écriture comme moyen de communication et d’expression et, en fait, est-ce vraiment vous qui avez choisi ?
R.J. Ellory – Réponse 2
C’est une question intéressante car ce n’est pas forcément vous qui choisissez votre vocation. Il se peut qu’une vocation vous choisisse, vous. Je suis très intéressé par la musique, très intéressé par le cinéma, très intéressé par la photographie mais l’écriture a en quelque sorte dominé ma vie créative, faute d’une meilleure expression.
C’est une aventure dans laquelle je me suis embarqué en 1987, lorsque j’ai commencé à écrire des livres mais que je ne trouvais pas d’éditeur. En fait, c’est le 24ème livre que j’ai écrit qui a finalement été édité. De ce fait, j’ai trente voire quarante manuscrits complets non publiés, quelque part dans mon loft, et on les utilisera – ou pas – à l’avenir.
Mais il est intéressant de souligner que l’écriture m’a ouvert les portes de la photographie et maintenant même de l’écriture de films. J’ai écrit trois films récemment, dont l’un est au stade du casting et un autre en préproduction. Et bien sûr l’écriture de chansons pour le groupe, dont le troisième album est déjà complet.
C’est l’écriture qui m’a permis de m’exprimer via ces autres canaux. Ecrire un scénario est une forme d’écriture, écrire des paroles et des notes de musique est une forme d’écriture et même la photographie : techniquement, ça signifie écrire avec la lumière. Donc, je ne pense pas avoir jamais été autre chose qu’un écrivain. C’est juste qu’écrire des romans m’a permis de raconter les histoires que je voulais raconter, de narrer de grandes histoires, mais ça m’a aussi ouvert les portes sur d’autres avenues créatives qui auraient été fermées autrement.
Question 3
Dans la plupart de vos romans, du moins ceux traduits en français, l’action se situe en Amérique. Pourquoi cette attirance pour les Etats-Unis, pour le Nouveau-Monde ? Est-ce parce qu’il est « plus neuf », donc plus jeune, ce qui rendraient ses habitants plus naïfs ? Cela vous permet-il de mettre plus aisément en avant les manquements de cette société ?
R.J. Ellory –Réponse 3
Mon attirance pour les Etats-Unis remonte à mon enfance et la passion que j’avais pour le Hollywood des années 50. J’adorais regarder des films avec des pointures comme James Steward, James Cagney et Humphrey Bogart.
Il y a un aspect très attirant des Etats-Unis du point de vue de sa diversité, comparable à une cinquantaine de pays. Vous pouvez voyager au Texas, puis aller à Boston et constater une différence sociale et culturelle très importante. Les gens sont extraordinairement différents, même s’ils parlent la même langue.
Un autre élément qui est attirant aux Etats-Unis est le fait que les policiers sont armés (ndltr. : ce n’est pas le cas en Grande-Bretagne), il y a le Klu Klux Klan, il y a des situations raciales problématiques, il y a la peine de mort, il y a la CIA, le FBI, il y a Hollywood, la dynastie des Kennedy, il y a toutes les situations menant aux actuels remous des élections américaines et c’est fantastiquement inspirant et fantastiquement intéressant du point de vue de l’écrivain ! La guerre du Vietnam m’a aussi inspiré. J’ai écrit au sujet de tellement d’aspects différents de la société américaine et de sa culture ! C’est une source qui paraît inépuisable. Il n’y a pas beaucoup d’éléments de comparaison entre la Grande-Bretagne et l’Amérique. « Nous sommes des nations divisées par une langue commune », comme on l’a déjà entendu dire. Le Royaume-Uni ne m’a jamais attiré en tant que source d’inspiration pour des romans. J’ai toujours gravité assez naturellement autour des Etats-Unis et je pense que ça a principalement à voir avec la vaste étendue des possibilités qui s’y présentent.
Question 4
Votre dernier roman, « Le jour où Kennedy n’est pas mort », est une uchronie, dans laquelle vous imaginez que Monsieur Kennedy n’as pas été assassiné en novembre 63 à Dallas et qu’il est rentré à la Maison Blanche avec Jackie, poursuivant ainsi sa folie personnelle.
Pourquoi avez-vous choisi cette forme, qui ne correspond pas vraiment à votre style ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
R.J. Ellory – Réponse 4
Le choix de cette forme d’uchronie est le résultat d’une conversation avec mon éditeur, il y a un certain temps. Nous discutions des livres que j’ai écrits, « Vendetta », « Seul le silence », « Les anonymes », « Le chant de l’assassin », et il m’a dit : « tu sais, tu as écrit au sujet du FBI, tu as écrit à propos de la CIA, tu as parlé de Nixon, de Hoover, du Klu Klux Klan, de la peine de mort, tu as écrit au sujet des Kennedy et de la guerre du Vietnam. Mais y a-t-il un événement politique particulier ou événement mondial que tu n’as pas encore abordé et dont tu aimerais parler ? ». Je lui ai dit que, pour moi, quand on pose ce type de questions, on s’approche automatiquement du 22 novembre 63 et l’assassinat de John F. Kennedy. Mais ça a déjà été fait tellement de fois, pas toujours bien, et il y a une quantité énorme de questions qui n’ont jamais trouvé réponse concernant les événements de ce jour-là. Il y a une quantité énorme de films, une quantité énorme de documentaires et un nombre infini de livres sérieux, non romanesques, sur le sujet. Je lui ai dit ne pas voir comment je pourrais aborder ce sujet d’une manière qui n’a pas encore été réalisée. Il m’a alors demandé d’y réfléchir et d’essayer de trouver un moyen différent de ce qui a été fait auparavant.
Bien sûr, il y a le livre de Stephen King sur l’assassinat de Kennedy mais c’est clairement un livre sur le voyage dans le temps. Je n’ai pas lu ce livre mais il contient tous les éléments surnaturels typiques de Stephen King. Du coup, je n’avais manifestement pas envie d’aborder la situation sous cette perspective car ce n’était pas le type de livre que j’écrivais.
Mais dans le train, en rentrant de Londres, après cette rencontre avec mon éditeur, j’ai commencé à me demander ce qui se serait passé si Kennedy avait été élu pour un second mandat. Car il s’approchait de la fin de son premier mandat de quatre ans à l’époque. Aurait-il été choisi par le Parti Démocratique pour la course au deuxième mandat ? Certaines choses étaient révélées par la presse et des rumeurs couraient mais c’était avant l’arrivée de l’Internet, si bien que les rumeurs se répandaient moins facilement que maintenant. Reste néanmoins que des questions à propos du caractère de Kennedy se posaient, des questions sur ses positions morales, sur ses attitudes personnelles, et ces questions m’intéressaient. Je savais également que c’était un homme qui souffrait énormément du stress et de maladies graves. Et je me suis demandé ce qui se serait passé s’il n’avait pas été assassiné et s’il avait poursuivi un mandat de quatre ans. C’est vraiment ce qui a fait germer le livre et ça m’a permis d’explorer un événement qui n’avait pas eu lieu, ainsi que de commenter certains aspects du caractère de Kennedy et de son administration qui n’étaient peut-être pas si positifs, ni dans la lignée de l’image que l’Histoire a gardée de lui.
Ma question de départ était donc « s’il avait continué sa carrière politique, est-ce que ses vices, son tempérament particulier, sa propension à l’infidélité auraient été exposés ? Aurait-il rejoint les rangs des personnages publics déchus de l’Histoire ? ». Je pense que la réponse à cette question est probablement oui, raison pour laquelle j’ai voulu explorer ce thème et c’est pourquoi j’ai écrit le livre de cette manière.
Question 5
J’ai entendu dire que vous vous veniez de finir d’écrire un roman dont l’action se situe au Canada. Est-ce vrai ?
R.J. Ellory – Réponse 5
Oui, c’est vrai ! Cependant, je ne sais pas combien de temps il vous faudra attendre pour la traduction en français. Le livre dont vous pourrez disposer en français en 2021 est celui-ci, « Le carnaval des ombres », pour 2021 donc. Le livre qui sera publié au Royaume-Uni en 2021 s’appelle « Proof of Life » et il est terminé. C’est un livre tout à fait différent car je ne l’avais jamais fait auparavant : l’action se situe complètement en-dehors des Etats-Unis. Londres, Istanbul, Berlin et les Pays-Bas au cours des années ’70. Et c’est assez différent au niveau du thème et manifestement au niveau géographique, par rapport à tout ce que j’ai fait auparavant. Mais je viens de finir ma relecture et il part sous presse très bientôt. Je suis très content de ça, d’autant que ça a été vraiment agréable à écrire. Et après tous les mois passés à l’écrire, je vois que c’est aussi vraiment agréable à lire !
Concernant le livre canadien, oui, il est également terminé. Je viens de passer ces quelques dernières semaines dessus. Il ne sera, bien entendu, pas publié au Royaume-Uni avant 2022. Quand il sera traduit en français et disponible pour vous, je l’ignore : 2023, 2024 ? Rien n’est sûr. Les décisions concernant la sortie de l’un ou l’autre livre et les séquences de publications sont prises par mon merveilleux éditeur français, Sonatine. Ce n’est pas une chose sur laquelle j’ai de l’influence et je n’en demande d’ailleurs pas : ils font de l’excellent boulot et je ne voudrais pas les distraire avec mes questions et exigences irritantes J Donc, il arrivera quand il arrivera mais oui, le livre canadien est terminé et j’en suis très satisfait !
Question 6
La cinquième édition de la Nuit Blanche du Noir aura lieu en novembre 2021. Pourrons-nous compter sur vous ? Nous rejoindrez-vous à ce moment-là ?
Nous avons terriblement envie de vous rencontrer !
Un tout grand merci !
R.J. Ellory –Réponse 6
Concernant le prochain festival à Mons en 2021, j’espère vraiment que je pourrai être là !
Nous avions une douzaine de tournées promotionnelles en Europe et en France en 2020 et chacune d’entre elle a été annulée. Donc, en fait, nous n’avons pas quitté le Royaume-Uni cette année, que ce soit pour promouvoir des livres ou pour des concerts. Nous n’avons rien fait ! Je suis resté bloqué à la maison mais j’ai écrit deux livres, j’en ai publié deux autres et j’ai écrit trois scénarios de films ! Et tout cela sortira en temps voulu. J’espère que notre agenda sera extra plein en 2021 pour des dates en Europe. J’ai envie de passer beaucoup de temps en France et de participer à tous les festivals que j’ai ratés en 2020. Et j’espère aussi vraiment qu’on pourra être à Mons.
Je voudrais vous remercier pour votre soutien, pour vos encouragements et pour votre gentillesse. Comme je le disais, j’espère que le festival rencontrera beaucoup de succès. Et j’espère que j’aurai l’occasion de vous rencontrer et de discuter avec vous d’un nouveau livre encore, d’ici un an ! Prenez bien soin de vous et restez en sécurité, je vous envoie toute mon amitié et vous salue.
Traduction Anne Verbeke
Ce texte est soumis aux droits sur la reproduction. Copyright Asbl InCulq.