Olivier Bal, une question de rédemption

Il y a quelques semaines, Olivier Bal, dont le Festival Nuit blanche du Noir avait beaucoup aimé La Forêt des disparus, nous accordait une interview qui nous a conduits sur les chemins de la rédemption. Voilà un sujet qui tombe à pic après les trois premiers conseils « Spécial Festival 2021 »!

NbdN : Olivier Bal, vous avez fait des études de cinéma. Pourquoi avoir choisi d’écrire plutôt que de tourner des films ?

Olivier Bal : Très bonne question ! En fait, j’ai mis du temps à trouver ma voie ! Depuis l’enfance, j’ai toujours aimé raconter des histoires.  Et j’ai longtemps pensé que c’était par l’image que j’y arriverais le mieux. Gamin, je tournais des petits films avec un caméscope. Vers 18 ans, je me suis inscrit en cinéma à la Sorbonne. Là, j’ai rencontré des gens remarquables qui parlaient très bien du cinéma mais en faisaient très peu. Moi qui croyais avoir les mains dans le cambouis ! Je n’ai reçu finalement qu’une approche intellectuelle alors que je revendique une approche populaire du cinéma. J’ai continué ces études malgré tout, en travaillant et en écrivant des scénarios et une pièce de théâtre. Mais monter un projet de théâtre ou de cinéma, c’est complexe, coûteux et cela nécessite d’impliquer beaucoup de monde.  Aujourd’hui, je réalise que ce cheminement m’amenait vers l’écriture de mon roman Les limbes. Pour écrire, j’étais seul, je ne dépendais que de moi, je n’avais pas de limites en dehors des mots posés sur la page, je pouvais écrire ce qui me faisait plaisir. Je pouvais me lâcher. Donc, j’ai écrit cet imaginaire complètement exacerbé autour du rêve.

NbdN : Avec Les limbes, on pénètre dans  un univers très proche du jeu vidéo.

Olivier Bal : Oui, c’est vrai. Et pourtant je ne m’en suis pas rendu compte immédiatement. L’emploi du présent et de la première personne crée une immersion qui est probablement un héritage du jeu vidéo! Placer le lecteur aux premières loges et m’effacer. Je veux que le lecteur oublie qu’il lit, vive l’action de manière viscérale avec les personnages, qu’il partage leurs maux, voie avec eux. Le huis clos qui se resserre, l’espace fermé de la base militaire où se déroule l’intrigue, ça c’est très jeu vidéo.

NbdN : Dans La forêt des disparus vous avez posé l’intrigue dans un lieu incroyable, la forêt de séquoias de l’Oregon aux Etats Unis. A la lisière de cette forêt, dans laquelle se produisent d’étranges disparitions,  s’est développé un  village dont les racines remontent au 19ème siècle.  Justement, la recherche des racines n’est-elle pas centrale dans le livre ? Pour comprendre, se comprendre. Et cela aussi bien chez Kellen, le fondateur du village d’origine,  que chez Paul Green, le journaliste, ou les autres personnages ?

Olivier Bal : Je me méfie des romans trop  manichéens. Je me bats contre cela depuis qu’on m’a fait remarquer que ma première pièce était terriblement manichéenne. Je tente de montrer la fragilité de ce que nous sommes. Nous évoluons tous sur le fil du rasoir. Le bien et le mal n’existent pas de façon aussi tranchée. Nous sommes tous dans des zones de gris. Dans La Forêt des disparus, mon souci est exactement de revenir aux origines, aux racines. Au premier degré de lecture, ces hommes du village sont des monstres, qui effraient avec leurs masques rouges. On est dans les codes du tueur en série. C’est horrible. Mais quand on lit le dernier chapitre, avant l’épilogue, où s’expliquent les racines du mal de Kellen, on comprend qu’à l’origine c’est juste un enfant malheureux, triste, qui, pour survivre, a créé une horreur qui l’a dépassé, un bloc de souffrance, de rancœur, de jalousie, qui s’est nourri de la forêt au fil des années. Et tous ceux qui y ont participé ne sont que les héritiers d’un système qui les dépasse: endoctrinés dans l’enfance, ils ne peuvent devenir que des monstres. Tout est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. En même temps la « monstruosité » a la vocation et le pouvoir de protéger le village ! Les habitants ont tous l’illusion d’être protégés. Donc, il leur est impossible de casser le cercle vicieux dans lequel ils sont enchaînés. On voit cela aussi dans les histoires de familles où les gens ne dénoncent pas le bourreau, par exemple, parce que c’est un système horrible mais qui fonctionne.

NbdN : On ne peut pas dénoncer parce qu’on n’est pas entendu. Par exemple, le jeune Alex voudrait dénoncer le système mais il n’a pas accès à la parole. Il a dit. Mais ce qu’il disait était inimaginable, il n’a été ni entendu ni compris.

Olivier Bal : C’est exactement cela. La difficulté de mettre des mots sur l’horreur. Alex pensait que si tous ses camarades acceptaient de faire ce qu’on leur demandait, c’est qu’il fallait vraiment le faire ! C’était comme ça qu’on devenait un homme, un « mâle ». Et même Lauren, sa mère ne comprend pas ses appels au secours. Elle ne comprend pas pourquoi il se scarifie. Elle le croit « fragile » ou « compliqué » depuis toujours. Elle se ferme même à la douleur de son fils. Evidemment plus tard, elle s’en voudra de n’avoir pas été à l’écoute des signaux. La quête de Lauren est aussi pour mieux comprendre son fils. J’aime bien les personnages en quête de rédemption. C’est  l’histoire de la vie de Paul Green, mon personnage central, évidemment. Il rêverait d’être un « mec bien », il tente de le devenir mais il se demande à chaque fois si ses actes n’ont pas amené plus de cicatrices et de douleur que de bien. Par exemple, dans L’Affaire Clara Miller, il a révélé la vérité mais son collègue Phil y a laissé la vie. Donc, il décide de se mettre dans la marge. Il regarde dans le rétro et il attend de voir. Il s’installe par hasard à Redwoods et il ne fait rien. Il pêche, il écoute sa musique, il sculpte ses figurines de bois. Il s’est oublié. Il s’est effacé du monde, des vivants. Et il s’est convaincu que c’était mieux pour tout le monde.

NbdN : La rédemption viendra de son chien, Flash,  et de la jeune Charlie.

Olivier Bal : Oui exactement. Son chien, c’est une sorte de projection de lui-même. Il lui fait dire ce qu’il a envie d’entendre. Et quand Charlie lui demande de l’aide et qu’il se sent à nouveau impliqué, c’est une sorte de  retour à la vie. Se mettre à nouveau en danger, ce n’est pas simple.  Mais il le fait pour se sentir vivant à nouveau. Je crois à ce message. Je suis un pessimiste profond autant qu’un grand optimiste de l’humain. Mais je crois profondément aussi à ce que dit Paul à la fin du roman:

Le jour finit toujours par se lever. La pire des nuits aura irrémédiablement un terme, il y a toujours une lueur, aussi infime soit-elle. Et il faut s’y accrocher, la poursuivre, coûte que coûte (…). Il y a toujours une chance, quelque chose à faire. Il suffit de tendre la main, faire face.

Interview Christine Defoin.

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