A la fin des années 80, l’Espagne commençait à vivre une extraordinaire réussite économique. Malgré cela, Gijón, ville portuaire des Asturies, était encore pauvre, assez sale et enfoncée dans une sorte de somnolence que la dictature avait accentuée. En 1988, un homme décide de dynamiter l’inertie en créant, dans cette ville dont l’exil l’avait privé, un festival de littérature noire : Paco Ignacio Taibo II (PIT II), auteur mexicain déjà reconnu dans son pays d’exil, revenait dans la ville de son père pour en faire le point d’entrée de la littérature noire latino-américaine en l’Europe. Et, en effet, au fil des années, les plus grands noms allaient débarquer du Tren Negro qui amène les écrivains de Madrid à Gijón, faisant de cette semaine (qui, étrangement dure dix jours!) the place to be des auteurs de polars et de thrillers bientôt rejoints par la science-fiction, le roman historique, les comics et autre photojournalisme!
La SN allait en quelques années devenir un énorme festival mais en 1988 elle ne se composait encore que de quelques de stands éparpillés en face de la Playa de Poniente. Luis Sepúlveda (Chili), Juan Madrid et Andreu Martín (Espagne), Leonardo Padura (Cuba), Justo Vasco (Cuba), complices de Taibo dès la première heure, passaient alors de débat en rencontres et en interview avec le sourire et le sentiment de l’engagement nécessaire et vital. Plus tard, autour de mojitos ou de coca-cola, la seule boisson ingérée par PIT II, Angel Gonzalez lira ses poèmes ou Joaquin Sabina donnera un concert gratuit ! Dans l’air, il y aura de l’enthousiasme et de l’énergie à revendre. Et dans les livres, des histoires, de bonnes histoires, et des récits voyeurs de sociétés pleines de soubresauts et de fureur…
La Semana Negra a quitté la Playa de Ponente pour divers autres lieux plus vastes et accueillants. Les chalets de bois se sont multipliés et les débats se sont regroupés dans de grandes tentes. Amir valle, Donna Leon, Thierry Jonquet, Elia Barceló, Manuel Vasquez Montalbán, Yasmina Khadra ou Lorenzo Silva et des dizaines d’autres se sont retrouvés à Gijón. En 2012, Paco a cédé ses fonctions de directeur à José Luis Paraja. Ángel de la Calle lui a succédé.
Cette année la SN fête ses trente ans, du 7 au 16 juillet, après une période de grande incertitude financière. Plus de 150 auteurs s’y retrouveront. C’est cinq fois plus qu’en 1988 ! Ils parleront évidemment des grands changements que le genre noir connaît depuis quelques années. De la fin annoncée de la vague nordique. De la nouvelle génération espagnole emmenée par Carlos Zanón ou Victor del Arbol. Du passage d’une littérature noire nationale, violente, parfois machiste, et revendicatrice à une production plus régionale et même internationale, moins dure et où les signatures féminines commencent à se faire une place centrale. Bref, telle qu’en elle-même, la Semana Negra sera encore une fois le meilleur endroit du monde pour faire la fête au polar!
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