On vous avait raconté tant de choses sur ce festival mythique Quai du Polar à Lyon que vous vouliez absolument les voir de vos propres yeux. Le discours ne vous suffisait pas. Non plus que les photos. C’est bien connu, il n’y a rien de mieux que l’expérience personnelle pour comprendre la réalité des choses.
A votre sortie du TGV, gare de Lyon Part Dieu, le polar vous saute aux yeux sur d’innombrables panneaux Decaux qui ne cessent de faire défiler les visages d’auteurs plus ou moins connus et le titre de leur dernier ouvrage. Dès cet instant l’affaire est entendue, on va vous fourguer du polar a satiété pendant tout votre séjour. Mais, après tout, vous êtes là pour ça. Ne vous plaignez pas. A Lyon, les rencontres, les signatures, l’enquête dans la ville, tout est gratuit. Evidemment comme des milliers de personnes ont le même goût que vous pour le polar et veulent rencontrer et écouter les auteurs, et au même moment que vous, ça va compliquer votre tâche. Surtout si vous avez laissez passer le délai pour vous acheter un coupe-file sur internet. Et parce que l’Hôtel de ville limite strictement ses entrées à cause de la menace des gilets jaunes!
Préparez-vous donc à patienter des heures dans des queues de toutes sortes. Par exemple, en arrivant vers 9h15 devant le Palais de la Bourse, vous pensiez être très à l’avance pour l’ouverture des portes et la rencontre programmée à 10h dans la salle Ampère ! A l’avance vous l’étiez, certes, mais 348 personnes avaient eu la même idée que vous et vous précédent dans la queue…
Et, en quelques minutes, près de 500 personnes s’agglutinent derrière vous, avec les mêmes intentions. Une fois les portes ouvertes, il faudra attendre que les 348 premiers (ou premières puisque les statistiques avancent que les lecteurs de polar sont à 80%… des lectrices !) s’engouffrent et se précipitent pour assister – eux aussi – à la rencontre qui vous intéresse mais à laquelle vous n’aurez pas la possibilité de participer puisque le local ne compte que … 200 places !
Qu’à cela ne tienne, il vous reste la chasse aux signatures ! Dans la vaste salle du Palais de la Bourse, des milliers de livres et des centaines d’auteurs vous attendent. II n’y a qu’à choisir. Evidemment, si vous voulez un paraphe de Michael Connelly et une micro conversation de 42 secondes (en anglais) avec lui, il va vous falloir patienter encore deux bonnes heures dans une queue réglementée par une bénévole, d’âge mûr et en tee-shirt rouge (couleur du festival), selon des lois très précises que vous devez apprendre par essais et erreurs car les lois en question sont informelles et implicites. Alors, vous vous dites que voilà, vous avez entraperçu Connelly de loin, en chair et en os c’est déjà ça, mais que vous préférez relire Le Poète plutôt que de perdre ces deux heures.
Et vous vous rabattez sur quelques auteurs tout seuls, attendant le client l’air inquiet, presque cachés derrière les piles de leurs bouquins, qui debout, qui affalé, reluquant avec envie (de meurtre ?) un Ian Manook qui n’a pas cessé de signer pendant trois heures hier et est en train de remettre le couvert ce matin. Vous ne les connaissez pas, pour la plupart, vous ignorez tout de leur travail mais vous vous dites que la découverte vaudra peut-être la peine. Vous discutez avec l’un et l’autre. Puis, vous continuez à déambuler entre les visiteurs et soudain, vous apercevez cet auteur, un de vos préférés, seul, qui semble rêver à d’autres lieux (peut-être s’ennuie-t-il un peu?) ou à des histoires qui l’emmènent loin du Palais de la Bourse et de Lyon. Dans votre anglais très approximatif vous osez l’aborder, vous lui dites que vous ne voulez pas acheter un de ses livres parce que vous les avez déjà tous, que vous voulez seulement le saluer. Il vous invite à l’accompagner dehors parce qu’il voudrait faire un break. Vous demandez too much noise, too much people? Il dit no, just need a cigarette. Et vous vous retrouvez assise à ses côtes sur les marches du Palais de la Bourse, à discuter (dans votre anglais toujours approximatif) de son héros, de son pays, des récits, de la littérature noire… Il demande si vous avez vraiment lu tous ses livres et vous lui dites que oui, vraiment, et que vous devez absolument retourner en Islande pour découvrir Akureyri, la ville où vit Einar, son personnage principal.
En somme, ça valait quand même la peine d’aller à Quai du Polar, ne serait-ce que pour ces quelques instants privilégiés avec Arni Thorarinsson.
A lire:
Le Temps de la sorcière, 2007
Le Dresseur d’insectes, 2008
Le Septième Fils, 2010
L’Ange du matin, 2012
L’Ombre des chats, 2014
Le Crime. Histoire d’amour, 2016
Treize jours, 2018
Tous les romans de Thorarinsson sont parus chez Métailié dans la collection Bibliothèque nordique, dans une traduction de l’islandais d’Eric Boury, et en format de poche chez Points Collection Policier.
Tous disponibles en support numérique sur le site de Librel le portail numérique des libraires francophones de Belgique.
* Le titre de cet article est emprunté à un poème d’Emily Dickinson, publié dans le recueil Escarmouches, traduit de l’anglais par Charlotte Melançon et publié aux éditions de la Différence,
collection Orphée,n° 110, novembre 2014.
On aurait pu aussi, en hommage à Agnès Varda, l’intituler « l’un signe, l’autre pas »…
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Texte et photos : Christine Defoin