Dans son dernier numéro , la revue Les trésors de la culture consacre près de 70 pages au thème Polar, le frisson des enquêtes. Le dossier comporte une trentaine d’articles, interviews ou portraits, traitant pour la plupart des grands noms historiques et fondateurs, d’Edgard Poe à San Antonio, en passant par Conan Doyle, Agatha Christie, Simenon, Leroux ou Manchette. Mais on y trouve aussi quelques articles plus généraux qui fournissent une base vraiment intéressante à une approche de la littérature policière des origines à nos jours.
Les deux articles d’introduction signés par Marc Lits* sont particulièrement utiles parce qu’en quelques pages, ils retracent l’évolution du genre depuis Double assassinat dans la rue Morgue (1841) d’Egdar Poe, dont nous avons parlé dans notre série Les classiques de l’été où, chaque mercredi de juillet et d’août, était présenté un roman policier entré dans la légende.
Lits rappelle que, pour qu’un roman policier « traditionnel » puisse se développer, il faut qu’il y ait crime et que ce crime soit révélé, même en l’absence de cadavre, ce qui suppose donc un triangle criminel – victime – policier dont les trois sommets pourront interchanger à l’infini, ou presque. Au départ, si le roman policier d’investigation, placé dans un univers urbain, répond à des lois strictes, c’est surtout, dit Lits, parce qu’il correspond à la création d’une nouvelle police, organisée, utilisant des outils scientifiques afin de lutter contre les méfaits engendrés par les laissés pour compte de l’avènement d’une société industrielle. Lits ajoute que le roman policier qui apparaît vers 1850 serait « le pendant ludique » de cette société industrielle. En France, avec L’Affaire Lerouge d’Emile Gaboriau (1863), la dimension intellectuelle s’insinuent dans les règles du roman policier. Mais on reste dans le roman à énigme que le lecteur doit s’évertuer à résoudre à partir des indices qui lui sont livrés au fur et à mesure du développement de l’intrigue. Conan Doyle, Agatha Christie, Maurice Leblanc, et, chez nous Simenon ou Stanislas André-Steeman sont les maîtres du genre.
Il faut attendre les romans américains dits hard boiled pour que la violence du quotidien s’insinue dans l’intrigue, la plaçant dans un univers où la frontière entre le bien et le mal n’est plus très nette et où les valeurs morales s’estompent. C’est la grande époque des Dashiell Hammett, Chandler, Mc Coy, Leo Malet et autres Auguste Le Breton. C’est aussi l’essor de la collection Série noire créée en 1945. C’est, enfin, le moment où la victime, généralement sans défense et prise à son insu dans un engrenage inextricable, commence à jouer un vrai rôle dans le récit.
Après mai 68, Jean-Pierre Manchette introduit dans le roman policier la contestation sociale, la dénonciation des injustices d’une société pourrie. Il crée le « néo-polar » dont Didier Daeninckx, invité du Festival Nuit blanche du Noir en 2019, deviendra l’un des principaux représentants.
Aujourd’hui, selon Marc Lits, il n’y a plus d’école ou de genre particulier. Les auteurs/autrices actuel.le.s refusent l’étiquette « roman policier » à laquelle ils préfèrent polar, roman noir ou littérature noire. Ils/elles proposent surtout des variations des formes évoquées plus haut, la plupart du temps ancrées dans la critique sociale. Des « niches » littéraires apparaissent: le polar régional dont l’exemple parfait est la trilogie de Jean-Claude Izzo; le polar ethnologique; les polars régionaux comme ceux des vagues latino-américaine, nordique ou, plus récemment, asiatique; le polar historique et même le polar fantastique ou dystopique.
Il n’y a plus de catégorie désormais. Et il faut encore constater que si le roman noir actuel est toujours dominé par la production américaine, on entend désormais des voix extrêmement diverses, de la France à Hongrie et la Pologne, en passant par la Méditerranée ou l’Asie. Mais pour la plupart, elles font encore du polar d’aujourd’hui ce que Manchette appelait une « littérature de la crise ».
Dans ce numéro 18, il y a donc des articles passionnants et très documentés. Pointons en deux, seulement: Polars français contemporains de Maryse Petit*, et dans le même esprit « panorama », Le roman noir européen: des crimes fédérateurs de Natacha Levet. De quoi se composer une PAL d’enfer!
Les Trésors de la Culture, n°18 – décembre2020-janvier et février 2021, Paris. Rédacteur en chef Bertrand Audouy. 14,5 euros.
*Le policier? Un genre très codifié… et Le policer: un genre, des sous genres. Marc Lits est professeur émérite de l’UCL,spécialiste du genre policier, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet et en particulier Le roman policier: introduction à la théorie et à l’histoire d’un genre littéraire, Editions du CEFAL, 1999.
* Maryse Petit est enseignante-chercheuse à l’Université de Lille et se consace aussi à l’écriture de romans … policiers!
*Natacha Levet est maîtresse de conférences à l’Université de Limoges. Elle est considérée comme l’une des spécialistes actuelles du roman noir français et européen.
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