Le dimanche 4 juillet 2021, à Lyon, dans le cadre des Quais du polar une rencontre animée par Michel Dufranne réunissait l’Islandaise Eva Björg AEgisdóttir, le Suédois Niklas Natt och Dag et le Franco-suédois Frasse Mikardsson.
La vague des romans et des séries scandinaves a commencé au début des années 2000 : L’homme chauve-souris, premier opus de Jo Nesbo (Norvège) parait en français en 2002 chez Gaïa, Les chien de Riga de Henning Mankell (Suède) sort l’année suivante chez Seuil policier, La Cité des jarres, premier roman de Arnaldur Indridason (Islande) paraît en 2005 ( Métailié), Les hommes qui n’aimaient pas les femmes de Stieg larsson (Suède) , premier volume de Millénium, en 2006 (Actes Sud), … Après cela, c’est une vraie déferlante nordique qui submerge le lecteur francophone : de Camilla Läckberg à Jussi Adler-Olsen en passant par Liza Marklund, Ragnar Jonasson, Lilja Sigurdardottir, Ake Edwardson ou Viveca Sten !

Pour Frasse Mikardsson (Autopsie pastorale, L’aube noire) qui lit en français autant qu’en suédois, on peut expliquer cette fascination par la qualité de la traduction. Il y a parfois une vraie réécriture qui rend le texte encore meilleur, plus exotique. Niklas Natt och Dag (1793, Sonatine) partage ce point de vue et rend hommage à son « fabuleux » traducteur Remy Cassaigne. Eva Björg AEgisdóttir (Elma, La Martinière) reste toujours étonnée de l’intérêt des lecteurs.


Que signifie dès lors, pour ces trois auteurs, l’étiquette « nouvelle génération du polar nordique »? Eva Björg AEgisdóttir ne ressent aucune « compétition » par rapport à ses « aînés ». Elle se sent le produit de son environnement, elle a lu ces polars à l’école (sic), ils l’ont façonnée et elle écrit ce qu’elle aime écrire, sans pression. Niklas Natt och Dag, lui, avait une relation trouble avec le polar, qu’il connaissait mal. Il le regrette d’ailleurs, et conseille aux futurs auteurs de ne pas faire comme lui ! Il faut connaître ses prédécesseurs. Lui, il écrit plutôt des romans d’un genre hybride, historico-policier. En Suède, on considère que le livre dispose de trois mois pour devenir un best-seller et il était persuadé d’échouer ! Un jour quelqu’un l’a appelé de Suisse pour lui dire qu’il venait de remporter le prix du meilleur polar de l’année. A sa grande surprise, il était devenu un auteur de polars !
Quelles étaient leurs lectures de départ, les influences ? Des auteurs locaux ? Des auteurs anglophones ? Eva lisait d’abord local avant de s’ouvrir aux auteurs du monde. Frasse Mikardsson considère que les Suédois lisent essentiellement Henning Mankell ou Camilla Läckberg parce qu’ils ont proposé quelque chose de nouveau. Une vision de la police parfois négative chez Mankell, des personnages complexes chez Läckberg. C’est ce que confirme Niklas Natt och Dag pour qui Mankell était vraiment une nouveauté, un changement de paradigme : montrer la société suédoise telle qu’elle était vraiment au début du 20ème! Asa Larsson c’était la dimension « Hollywood » et Mankell, une approche quasiment gauchiste.
Hollywood, la critique sociale… mais quelle part d’implication de soi-même dans l’écriture de ces nouvelles voix ? Frasse se sert du polar pour décrire son quotidien personnel et ce qui le surprend dans la société suédoise. Eva décrit ce qu’elle connaît le mieux, sa ville natale, une petite ville où tout le monde connaît tout le monde. Et quand un crime est commis, le flic doit enquêter même chez son voisin. Il y a des conflits d’intérêt qui surgissent. C’est cela qui est intéressant, selon elle. Niklas confirme que ce ne sont pas les origines anciennes et aristocratiques de sa famille qui l’ont amené à choisir son sujet, mais sa bonne connaissance de l’aristocratie lui a permis d’en faire une peinture plus précise.
Quelle est la place de la religion dans leurs romans ? Frasse explique que la société suédoise est très sécularisée mais que, paradoxalement, l’église est très présente dans la société et qu’elle joue un rôle très positif, qu’elle favorise l’ouverture de la société suédoise. Ce que confirme Niklas qui ajoute qu’on est dans l’église suédoise… par défaut ! En Islande, la religion n’est plus très présente, les Islandais ne sont pas très croyants et il y a très peu de gens dans les églises !
Les autrices sont-elles réellement mises en avant en Islande ou en Suède ou est-ce un filtre de l’édition française ? Eva Björg AEgisdóttir pense que le nombre d’autrices augmente effectivement mais elle constate malgré tout que dans la liste des 10 best-sellers islandais de 2020, il n’y avait qu’une seule femme ! Par contre le nombre de lectrices augmente ! En Suède, la situation semble très égalitaire mais, en effet, le nombre de lectrices augmente aussi proportionnellement.
On sait que le livre occupe une place importante dans les cultures nordiques et qu’il y a une vraie culture de la lecture. Pour Frasse Mikardsson, en Suède, on ne lit pas vraiment les classiques mais un Suédois sur trois a lu Millénium ! Il signale qu’en Suède on assiste à une forte poussée des audio books, dont l’intrigue est totalement normée. Certains auteurs ne travaillent plus que pour les audio books sur des canevas précis. Niklas Natt och Dag confirme cette poussée des audio-books formatés (texte en je, sans flash-back, etc.) qui volent une large part de marché aux livres. Le nombre de lecteurs diminue et, selon lui, le polar est le dernier espoir pour la lecture. Pour Eva Björg AEgisdóttir c’est différent : en Islande, les livres sont partie intégrante de la culture. Par exemple, tous les livres sortent un peu avant Noël et le cadeau de Noël type, c’est un livre !
Face à ce « travail charté », ces scénarios normés… Quelles contraintes les trois auteurs ont-ils rencontrées dans leur travail d’écriture ? Ils font tous trois la même réponse : liberté totale !
On peut terminer ainsi sur une note d’espoir !
Synthèse Christine Defoin.
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