Quelques trucs pour régler ses contes

Ce dimanche 3 avril après-midi, alors que le froid congelait les Quais du Polar de Lyon, nous nous sommes retrouvés dans une salle bonbonnière de l’Opéra pour assister à une passionnante rencontre entre Nathalie Achard, Céline de Roany, Ragnar Jónasson et Niko Tackian autour du thème Roman à suspense : l’art de régler les contes. Cette rencontre était animée par Vincent Raymond qui, d’entrée de jeu, a demandé aux participants de révéler leurs secrets de fabrication, le fonctionnement de leur horlogerie intime

Céline de Roany se pose énormément de question dont elle tente de différer les réponses. Elle s’appuie sur une technique consommée de l’écriture alors que Niko Tackian laisse, dans  une part instinctive importante, venir les idées  au fur et à mesure. Il reconnaît qu’il y a aussi une part besogneuse mais la multiplicité des formes de thrillers et de narration laisse une grande liberté dans le choix du récit. C’est un peu pareil pour Ragnar Jónasson pour qui, avant tout, il y a de l’instinct. Puis, comme les idées viennent de partout, il faut trier. Et commencer à écrire, même des choses que personne ne lira. Écrire tous les jours. Alors plaisirs et souffrances se mélangent, mais le vrai plaisir, c’est l’écriture du 1er chapitre ! Quant à Nathalie, elle part d’une scène qu’elle a observée. Elle avoue que, parfois, c’est pénible d’écrire mais c’est un boulot et un boulot peut être pénible, parfois ! Elle écrit  uniquement ce qu’elle a envie de lire.

Y a-t-il donc systématiquement le même point de départ, le  même noyau embryonnaire ?

Nathalie avoue son goût pour le huis clos donc elle apprécie de partir d’une scène où se déroule une interaction entre deux personnages. Céline avait utilisé une scène observée dans son premier roman et dans le deuxième, c’est un personnage qui a focalisé d’abord son intérêt. Ragnar est intéressé par diverses choses : un personnage sur qui on veut écrire, un lieu bizarre ou isolé, une conversation avec des gens…. L’inspiration peut venir de partout. Mais avant de s’asseoir au bureau, il a déjà une cartographie de l’histoire dans la tête depuis longtemps, même si, en permanence les idées viennent, surgissent à des moments inattendus. 

Niko travaille aussi sur plusieurs points d’entrée, souvent à partir de photos, sur un endroit en particulier. Et parfois ce n’est pas l’endroit qui devient intéressant mais l’histoire de l’endroit. Notre mémoire est comme une pelote de fil, on tire un bout et écrire c’est comme le fil qui se dévide. Toutes les informations doivent maturer longtemps. Les sources d’inspiration sont diverses et  infinies. Parfois ce n’est  qu’un détail qui s’imprègne dans la mémoire. Ou une  interférence. Quand il écrit, il ne lit plus que les choses qui concernent son projet. C’est ça qui oriente sa culture  à ce moment-là, tous supports confondus – musique, podcasts, talk-show – mais toujours sans regarder les images, que  Niko imagine. Il adore les interférences, les accidents, et parfois un rayon de soleil suffit !

Dans le même ordre d’idées, Céline évoque l’écriture d’un thriller comme un ensemble de  pelotes de laine, à tricoter puis à assembler, en fonction des idées, du ressenti. Nathalie évoque l’image du bambou ou de la menthe qui forment des rhizomes en secret  et, de façon inattendue, sortent soudain dans  un bout du jardin. Mais elle ne veut  pas d’interférence. Elle a besoin de silence car elle est  sur le fil de ce qu’elle dit. Elle en vient à s’organiser une nouvelle vie presque en version monacale !

Une fois le livre écrit, quel rapport entretient-on avec ses personnages ? A-t-on un besoin impérieux  de s’en débarrasser ? Restent-ils des passagers clandestins ?

Pour Nathalie, le rapport aux personnages est ambigu. Il faut s’en libérer, c’est évident, faire un deuil même des personnages les plus toxiques. Niko pense que si l’on crée  un personnage il faut l’accompagner car ils veulent tous être entendus. C’est presque psychanalytique. Il faut laisser la parole aux personnages. Céline évoque aussi ce « devoir » de porter leur parole au moment d’écrire. Mais elle constate aussi qu’ils sont parfois envahissants ! Ragnar imagine certains personnages en couleur, d’autres en noir et blanc. Et, pour lui, ils sont l’élément  le plus important. Les personnages sont cruciaux.

Et qu’en est-il  d’un personnage récurrent ? 

Pour Céline avoir un personnage récurrent  c’est comme avoir un ami ou une amie. Elle  connait les détails de son  histoire et elle regarde la collision entre lui et son intrigue. Pour Niko aussi c’est un ami dont on est proche, mais qui, parfois, vous saoule. L’auteur veut retrouver la liberté d’avant, se libérer de ce personnage récurrent.  Mais ils finissent quand même  par se retrouver. Chez Ragnar, le personnage récurrent est en lutte avec lui mais aussi en  conflit avec les autres personnages. Pour parler son personnage de la dame de Reykjavik il lui a fallu trois romans. Et il lui reste encore des choses à dire ! Nathalie n’a pas (encore) de personnage récurrent.

Quel support pour écrire ?

Céline a deux ordinateurs et un clavier ! Niko travaille sur plusieurs ordinateurs mais surtout sur des mind mapping immenses qui lui permettent de gérer la mémoire du texte.  Nathalie opte elle aussi pour le mind maping au crayon et l’écriture à l’ordinateur. Une fois que le texte est  sauvé sur son ordinateur, Ragnar l’imprime avec des polices manuscrites à l’ancienne pour corriger.

Quand le manuscrit semble achevé, à qui faire relire ?

Ragnar Jónasson dit n’avoir pas beaucoup d’amis à qui il demande une relecture.  Il attend surtout l’avis de l’éditeur. Niko Takian ne veut pas soumettre son texte  à des amis pour la relecture même si, parfois, il fait une  lecture orale à des personnes  très proches, juste pour voir leurs réactions.  Il ne fait relire que par une seule personne : son éditrice. Il en va de même pour Nathalie Achard qui ne fait relire que par son éditrice car elle veut  entendre une vérité technique, professionnelle. Céline de Roany vient de  l’autoédition et elle a conservé son  Beta lecteur. Sa sœur. Très critique mais très juste et très pro.

Commence alors  le (long) travail éditorial. Quels types d’interventions sont encore possibles ?

Niko publie souvent la forme du  roman qui sort en premier jet (même si elle est déjà largement retravaillée). Son premier roman a été écrit en 3 mois et publié comme tel. Seule son éditrice lit et si elle donne le feu vert, c’est bon. Mais si elle lui demandait de retravailler tout, il le ferait ! Pareil pour Nathalie qui fait une confiance aveugle à son éditrice et qui pourrait tout casser si elle le lui demandait ! Céline a gardé des habitudes de l’autoédition. Mais pour le  travail d’édition et de restructuration, c’est un regard différent, intéressant.

Ragnar déteste le travail éditorial ! 

On termine sur quelques conseils :

  • Utilisez un  retroplanning pour vous imposer des barrières temporelles par rapport aux multiples relectures/corrections  que vous voudrez faire sur le texte.
  • Ne relisez pas ponctuellement chapitre par chapitre et ne jetez pas ce que vous n’aimez pas avant de recommencer. Gardez.
  • Ne défaites pas  en permanence. 
  • Avancez…

 Compte rendu Christine Defoin

Nathalie Achard. Week-end entre amis, 2022. Marabooks, Collection Black lab

Céline de Roany. De si bonnes mères, 2022. Les Presses de la Cité.

Ragnar Jónasson. Dix âmes pas plus, 2022)- . De la Martinière Editions.

Niko Tackian  Respire, 2022. Calmann Levy Noir

Vous trouverez ces livres chez votre libraire habituel, évidemment! Sinon, commandez-les sur Librel, le site des libraires francophones indépendants de Belgique.
Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à inculq@gmail.com


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