Le Festival du Livre de Paris avait invité l’Inde à nous faire découvrir sa littérature en avril dernier. Parmi un vaste programme passionnant, le #Festivaldepolar Nuit blanche du Noir de #Mons a, évidemment, pointé une découverte du polar indien ! La rencontre, animée par Hélène Fischbach (Directrice du Festival Quais du polar de Lyon), réunissait trois plumes du polar indien.
Hélène Fischbach leur a demandé d’abord de présenter leur livre.
Dans Le serveur de Brick Lane, Ajay Chowdhury raconte l’histoire de Kamil, un policier de Calcutta, qui, après s’être fait virer pour avoir fouillé dans de sombres affaires, part à Londres et devient serveur dans le restaurant d’un ami de son père. Mais un meurtre est commis et Kamil ne résiste pas à enquêter !
Dans le roman de Manu Joseph, un immeuble de l’un des quartiers pauvres de Mumbai s’effondre soudain. Coincé sous les décombres, un unique survivant, en piteux état. Akhila, étudiante en médecine, réussit à se glisser vers lui et l’entend divaguer (?) : un nommé Jamal serait sur le point de commettre un attentat tout près de là. Et bien d’autres choses terribles. C’est une course contre la montre qui commence. Mais comment le survivant sait-il tout cela ?
Vikas Swarup indique que dans ses romans il y a toujours un crime. Donc il choisit de parler de Meurtre dans un jardin indien. Six personnes sont suspectées d’avoir commis un meurtre : un politicien corrompu, un voleur de gsm, une superstar de Bolliwood bête de sexe, un ministre corrompu et puissant, Larry Page, qui vient d’acheter une épouse par correspondance , et enfin un habitant de l’île Adaman avec son arc et ses flèches. Il s’agit évidemment de regarder l’Inde à travers ces 6 suspects
Le terme polar est un terme français très large. D’où vient le goût pour ce genre et quels courants du polar peut-on rencontrer en Inde ?
Ajay Chowdhury a grandi avec Conan Doyle, Agatha Christie,… Mais il n’y a pas de grand détective dans la littérature indienne actuelle . Et en plus, le sien est musulman ! Depuis quelques années est apparu un polar anglo indien notamment avec Abir Mukherjee, par exemple. Chowdhury reconnaît que les auteurs indiens écrivent plutôt de la littérature blanche.
Vikas Swarup a eu les mêmes influences. Quand il a voulu écrire un polar il s’est rendu compte que personne en Inde n’en avait écrit. Les romans parlaient tous de la société . Donc, pour avoir du succès, il a bien dû mettre un peu d’analyse sociale dans ses récits . C’est ce qu’il a appelé des “socialthrillers“ dans lesquels il y a bien sûr un crime mais qui sont aussi une facon de depeindre la société indienne. Il écrit en utilisant le modèle du page turner.
Manu Joseph se sent comme un imposteur dans cette table ronde. Son roman n’est pas un thriller même s’il y a un meurtre. Mais il veut montrer qu’il y a quelque chose de dangereux à être trop belle. Cela crée des tensions . Quelque chose va se passer. Mais quoi ?
Ces trois auteurs ne sont pas tendres dans leur description de la société indienne et ils ne se privent pas d’en dépeindre les défauts !
Ajay Chowdhury a constaté qu’un crime et un détective c’est bien, mais que le lecteur veut plus. Un reflet de la vie. Ajay parle de la nourriture, par exemple. Mais pour lui, le plus important c’est l’écriture, l’accrochage, la surprise pour le lecteur.
Le roman de Vikas Swarup raconte l’histoire d’un personnage qui a commis bien des méfaits et tué pas mal de gens sans jamais être inquiété car il bénéficiait de la protection de son père. Des situations de ce genre ont vraiment lieu en Inde. Donc ses romans sont inspirés de la vie réelle mais aussi décrivent la vie des suspects.
Peut-on facilement aborder certains thèmes comme les injustices, les castes, le traitement réservé aux musulmans ?
Manu Joseph ne nie pas que l’Inde est un pays où il est difficile de dire des choses. Avec humour, il raconte que, quand il a voulu quitter l’Inde pour venir à Paris, aucun douanier ou policier ne l’a retenu ! Sans doute n’est il pas assez célèbre car très régulièrement certains écrivains sont arrêtés au contrôle des passeports et empêchés de sortir du pays !
En tant qu’ancien diplomate. Vikas Swarup, réfléchit 3x avant de… ne rien dire! Ses trois romans parlent de l’harmonie entre les populations et de leur coexistence qui dure depuis des siècles.
Ajay Chowdhury vit en Angleterre et a un passeport britannique, il a donc moins de scrupules à s’exprimer que ses collègues ! Il se dit « dégoûté » par la situation et par les actions du gouvernement de la droite hindoue nationaliste. Son nouveau livre se passe au cachemire où Boris Johnson est allé récemment. Tout le monde trouvait ce voyage très important mais les Indiens s’en moquent car ils pensent que le monde occidental à plus besoin de l’Inde que l’inverse. Il faut mettre en perspective la situation des musulmans en Inde. Ce n’est pas un génocide, c’est autre chose : une haine organisée qui investit les plus petites choses. Comme une torture mentale. Mais il n’y a pas de réaction, c’est le quotidien. Les gens ont perdu la ferveur d’être indien
Pour terminer sur une note plus légère, quelle est la part réservée à l’humour?
Ajay Chowdhury pense que l’humour est essentiel dans ses livres. Par exemple, une de ses personnages crée des tee shirts pleins d’humour avec des slogans marrants ou provocateurs, elle en porte un différent chaque jour !
Vikas Swarup a créé un personnage de fonctionnaire qui pense être possédé par Ghandi. Il donne de l’argent puis le réclame. L’humour est très important pour compenser la noirceur de l’Inde.
Manu Joseph adore le cynisme. Quant on étudie l’évolution du sourire en neurosciences, on apprend que les premiers humains faisaient des grimaces pour chasser leur ennemi. Ce serait l’origine du sourire ! Il adore cette idée que l’humour serait une réaction à la peur, une forme d’agression en retour !
Synthèse Christine Defoin

Ajay Chowdhury passe son enfance à Calcutta et Bombay. Après des études aux USA, il s’installe à Londres où il fonde une compagnie de théâtre au sein de la communauté indo-pakistanaise. Son premier polar, Le serveur de Brick Lane, est édité chez Liana Levi en 2021. Traduit de l’anglais (Inde) par Lise Garond.

Vikas Swarup, ne à Allahabad, est diplomate. Auteur en 2006 du colossal succès Fabuleuses aventures d’un Indien malchanceux qui devient milliardaire, adapté au cinéma sous le titre Slumdog millionnaire ! Ses romans suivant Meurtre dans un jardin indien (2010) et Pour quelques milliards et une roupies (2014) sont parus chez Belfond. Traduits de l’anglais (Inde) par Roxane Azimi.

Manu Joseph vient du sud de l’Inde. Il exerce le métier de journalistes. Miss Laila armée jusqu’aux dents est son 3ème roman publié en 2020 aux Éditions Philippe Rey après Les savants (2011) et Le bonheur illicite des autres (2014). Traduits de l’anglais (Inde) par Bernard Turle.
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