Henri Lœvenbruck, l’homme impatient

A l’occasion de son passage à Bruxelles pour présenter son dernier roman L’assassin de la rue Voltaire, Henri Loevenbruck a accordé cet interview au Festival Nuit blanche du Noir. Qu’il en soit remercié!

Nuit blanche du Noir : Vous êtes incontestablement un être protéiforme quand on voit tout ce que vous faites, de la musique à l’écriture…

Henri Lœvenbruck :  Mon papa m’a toujours dit que j’étais impatient ! Et quand on est impatient on veut faire plein de choses différentes. Mais je reste toujours dans le domaine de la création ; j’ai fait un peu de graphisme en 3D, par exemple. J’ai toujours aimé créer. Ça a commencé par la musique, j’en fait encore, surtout sur des projets d’autres musiciens. Et, depuis 3 ans, je travaille sur l’adaptation d’un de mes romans, Nous rêvions juste de liberté, en comédie musicale. C’est un roman un peu à part qui convient à cette forme de la comédie musicale, celle qui est pour moi la forme artistique la plus complète qui soit. J’ai toujours rêvé d’en écrire une ! On y mélange à la fois l’écriture, la construction d’une histoire, la musique et l’instantanéité du contact avec le public . J’en vois beaucoup, je vais à Londres. Cela fait 3 ans que je travaille sur ce projet et j’en ai probablement encore pour 10 ans… (rires)

Nuit blanche du Noir : Vous êtes protéiforme dans vos modes d’expression mais aussi dans le choix des genres que vous développez : de la science-fiction, de la  fantasy, du thriller… Comment passe-t-on de l’un à l’autre pour arriver au roman historique comme la série consacrée à  Gabriel Joly?

Henri Lœvenbruck :   Toujours par peur de la lassitude et de l’enfermement. Par peur de ne plus m’amuser ! Et aussi par peur d’être catalogué. Je n’ai pas envie qu’on dise que je suis un auteur de polar ou de roman historique. Je n’aime pas les étiquettes, ni de la part de l’éditeur ni de la part des lecteurs. Pourtant  les gens aiment bien ça. Ne serait-ce que d’un point de vue pratique ! Les libraires sont assez contents de savoir dans quel rayon ranger tel roman de Loevenbruck.  J’ai connu ce problème avec Nous rêvions juste de liberté qui est un roman de littérature blanche. Avec le temps, mes lecteurs se sont habitués et désormais … ils  attendent que je change !

Nuit blanche du Noir : Vous changez de forme, c’est vrai, mais dans vos séries, paradoxalement il y a un personnage récurrent !

Henri Lœvenbruck :  J’ai toujours été un grand consommateur de romans feuilleton et de séries télé parce que ces formes offrent  la possibilité de donner de la profondeur au personnage central en lui faisant vivre plein d’aventures. Le spectateur ou le lecteur assiste avec plaisir à  ces aventures d’un personnage dont il connaît presque tout : ses amours, ses défauts, ses échecs… Il s’attache à  lui. Pour moi, en tant qu’écrivain, c’est un plaisir de reprendre un personnage. Et quand j’écris un roman où le personnage n’est pas destiné à revenir, j’écris son passé pour moi-même, je ne le raconte pas dans le livre mais je le connais. J’en ai besoin.

Nuit blanche du Noir : Votre d’intrigue est en effet très  construite  et évolue comme un feuilleton, par bonds sur des micro-climax.

Henri Lœvenbruck :   Dans la série de Gabriel Joly,  j’avais vraiment envie de rendre hommage au roman feuilleton et à la littérature populaire du XIXème siècle. C’est celle qui m’a nourri. J’étais un insatiable lecteur de Dumas, Paul Féval, Verne, etc. J’avais presque le sentiment d’une dette envers eux. J’avais envie de leur rendre hommage à travers une série qui intégrerait  beaucoup de choses : la piraterie, les aventures, le polar à l’ancienne façon Agatha Christie.  Et même si l’intrigue se situe au XVIIIème, j’utilise la langue des romans populaires du XIXème parce  que je pense que l’inconscient du lecteur reconnaît la langue de Dumas. On y trouve aussi le modèle du roman initiatique du XVIIIème à l’allemande. Un jeune héros, très intelligent mais un peu naïf, puceau de surcroît, va se former, découvrir l’amour, les aventures. Et dans L’assassin de la rue Voltaire, pour la première fois il est brisé. Il a connu la douleur, il est en deuil. Il doit grandir et atteindre une certaine forme de sagesse qui passe par des blessures.

Nuit blanche du Noir : Ce roman fourmille d’une  incroyable quantité d’informations. Le lecteur sort plus cultivé de cette lecture ! Est-ce aussi l’un de vos objectifs ?

Henri Lœvenbruck :   Ah oui, parce que du coup, moi aussi j’apprends aussi plein de trucs ! (rires) Par exemple, j’ai toujours aimé le théâtre, j’en ai consommé  beaucoup comme  spectateur, mais je n’en ai  jamais fait,  je n’en connais pas les dessous. J’avais envie de faire un huis clos et le théâtre s’y prêtait bien. J’ai découvert un univers fascinant qui fait rêver. L’envers décor au sens premier du terme.

Nuit blanche du Noir : Vous faites dire à l’un de vos personnages, D’Azincourt, que la politique a toujours fait tort à la littérature.  Pourtant  vos romans sont éminemment politiques !

Henri Lœvenbruck :   Je ne suis pas non plus d’accord avec lui (rires)!  Nous sommes tous les produits de notre pensée, de notre philosophie. Écrire est en soi un acte politique.

Nuit blanche du Noir : Pourquoi n’avez-vous pas situé votre roman dans la période précédant la Révolution ? Votre roman raconte en quelque sorte l’échec des Lumières !

Henri Lœvenbruck :   Figurez-vous que je me suis posé la question. En fait, j’avais envie, moi, de placer mon intrigue pendant La Commune, entre 1869 et 1870. Surtout parce que les lecteurs connaissent cette période beaucoup moins bien. Et c’est justement pour cela que mon éditeur  m’a conseillé d’éviter La Commune ! (rires)

Nuit blanche du Noir : Et dans ce roman vous revisitez les fondements de la politique en France. IL y a une vraie  modernité dans l’image que vous donnez de la Révolution : la lutte pour les droits des femmes, les revendications féministes, des mouvements de revendication populaire qui font penser aux gilets jaunes,…

Henri Lœvenbruck :   Quand on étudie la Révolution française à l’école, de manière très succincte, on garde une image trompeuse. Or la Révolution, c’est un grand mensonge ! C’est un moment fondateur de la République, certes, et on lui doit la déclaration des droits de l’homme, mais même ça c’est un scandale. Par exemple, la Révolution, c’est le grand rendez-vous manqué pour la condition féminine. Les femmes ont été laissées à l’écart alors que c’était LE moment de l’histoire où, enfin, on aurait pu faire avancer les choses. Plus la Révolution avance plus les femmes sont écartées. On finira par interdire les femmes dans les clubs politiques. Et en fin de compte, c’est malgré tout une révolution bourgeoise ! Le peuple en était l’initiateur évidemment,  mais  la suite a profité à la bourgeoisie ! Il y a une réforme importante, c’est vrai, ne serait-ce qu’au plan symbolique, mais on n’a pas réussi à se débarrasser de ce qui n’allait pas dans cette société. Moi, j’ai toujours l’impression de vivre en monarchie, constitutionnelle certes, mais aux mains d’une cinquantaine de familles, les mêmes depuis trois siècles, propriétaires des principales fortunes du pays. J’avais envie de dire que la Révolution est un beau moment nécessaire mais qui a fini sur un échec.  Et quand je discute avec des gilets jaunes c’est pour leur dire de faire attention, de relire l’histoire. Il faut lever le poing, c’est bien mais qu’est-ce qui vient après ? Si c’est pour faire un boulevard  à l’extrême droite il vaut mieux ne pas aller bloquer les ronds-points !

Nuit blanche du Noir : L’assassin de la rue Voltaire propose en tous cas une fin rousseauiste !

Henri Lœvenbruck :   Oui. Oui. Et c’est étonnant parce que je vous ai dit que je planifiais énormément mes romans mais la fin de L’assassin de la rue Voltaire je ne l’avais pas planifiée ! J’ai improvisé. Ça  fait partie des rares moments dans mes romans où il y a de l’improvisation. Je ne vous cache pas que j’ai été père pendant la période où j’écrivais. Cela m’a peut-être influencé. Mais ,mon héros est en deuil, il vit un grande désillusion par rapport aux actions de sa génération et comme beaucoup, il met ses espoirs dans la jeunesse, dans la génération d’après.

Comme nous, en fait. Mais nous, en plus nous laissons la planète dans un sale état. Mes  parents et mes grands-parents, eux,  avaient un espoir pour leurs enfants, ils étaient sereins parce qu’ils étaient persuadés que nous ne connaîtrions pas la guerre. Nous, nous amenons la planète au bord du gouffre. En fin de compte on peut placer un roman où on veut, on parle toujours d’ici et  de maintenant, du temps présent. Et d’ailleurs quel peut être l’intérêt un livre si l’on ne parle pas du temps présent ?

Nuit blanche du Noir : Et maintenant ?

Henri Lœvenbruck : Dans mon prochain roman, l’intrigue est située pendant les années20. J’invente une ville, en fait une île anglo-normande entre Jersey et Guernesey. J’y  invente tout de A à Z, depuis le nom du boucher jusqu’à l’histoire des grandes familles et tout le passé de l’île. Mon projet, c’est d’en faire un univers partagé avec d’autres auteurs, qui écriront un roman situé sur cette île. C’est vraiment interpelant de donner son univers à quelqu’un d’autre et de découvrir la façon dont il se l’approprie.

Synthèse Christine Defoin

L’assassin de la rue Voltaire . Henri Lœvenbruck. XO éditions, 2021.

Vous trouverez ce livre chez votre libraire habituel, évidemment! Sinon, commandez L’assassin de la rue Voltaire sur Librel, le site des libraires francophones indépendants de Belgique.
Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à inculq@gmail.com.

Remerciement à Sarah Altenloh


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