A la racine du mal

Dans l’impressionnant salon de l’Hôtel de Ville de Lyon, le public de Quais du Polar, enfin à nouveau réuni, attendait beaucoup de cette rencontre au cours de laquelle, en ce dimanche 4 avril 2022 matin,

autour de la star Bernard Minier, Nicolas Beuglet, Nicolas Lebel et la Coréenne Seo Mi-Ae répondaient aux questions de Vincent Raymond, sur le thème A la racine du mal.  Et d’abord quand on choisit d’écrire sur le mal, a-t-on besoin de creuser loin ? A partir de quand atteint-on le « cristal » du mal ?

Pour Nicolas Lebel, le mal, aussi vieux que l’histoire de l’humanité, c’est l’histoire cachée sous le tapis. Et la fonction du polar est de le réveiller, de le rapporter parce que ce qui est caché remonte toujours à la surface et le montrer est une sorte de catharsis, pour mieux l’éviter.

Bernard Minier rappelle qu’au pays de Descartes on aime les étiquettes et que l’on parle volontiers du mal comme du Mal archétypal, absolu. Mais la société recèle bien d’autres formes du Mal dont la pire, selon lui, est le mal social. Et plus encore le mal qui croit faire le bien. Si mes  intentions sont bonnes je suis absous ! C’est le mal le plus pernicieux, qui était le thème de son roman La Chasse. Nicolas Beuglet rejoint cette idée selon laquelle le mal qui agit sous les oripeaux du bien en est la forme plus pernicieuse…

Et la question est de savoir comment  faire pour raconter ÇA, thème qu’il aborde dans son roman Le passager sans visage.  Jusqu’où et comment nous déresponsabilisons-nous ? L’auteur ne peut pas trancher mais il peut appeler à la vigilance.

Seo Mi-Ae écrit sur la vie de tous les jours. Dans ses romans, bien sûr le meurtrier tue mais elle cherche à comprendre pourquoi et à savoir quel genre de personne il est.  Par exemple, un film coréen racontait l’histoire d’une femme tueuse  en série. Mais à la fin on comprend qu’elle venge sa fille, tuée après avoir été violée. Est-ce que cette femme incarne LE mal ? C’est ce genre de question qu’elle pose au lecteur. En Corée, le juge évalue les raisons qui ont poussé au crime, il analyse  la situation du meurtrier pour réduire la peine. Pour Seo Mi-Ae c’est assez juste de pratiquer de la sorte.

Le mal, peut-on s’en servir impunément ? De l’avoir côtoyé,  sort-on indemne ou pas ?

Bernard Minier rappelle que les auteurs ne sont ni des juges s ni des bourreaux, seulement des raconteurs d’histoires. Le propre du roman est de questionner la société. Un roman est plus compliqué que ce que voit le lecteur. Tout le monde peut faire l’expérience du mal, à la télé par exemple. Pour écrire Lucia,  il a rencontré des étudiants en criminologie qui travaillent à longueur de temps sur le mal. Lui, quand son roman est écrit, qu’il a évacué son rapport au mal sur le papier, il peut  oublier.

L’auteur habité par son sujet c’est toujours bon d’un point de vue marketing, plaisante Nicolas Beuglet.   Mais, en réalité, c’est un travail artisanal. Et heureusement ! Parce que, quand on choisit le sujet, on sait qu’on va vivre pendant des mois ou des années avec lui. Il faut être armé pour ça. Beuglet parle de sujets durs mais pas de façon voyeuriste. II préfère observer par l’œilleton de la porte, comme ce prêtre dans un film de Costa Gavras, dont le seul regard épouvanté traduit l’horreur de la scène qu’il regarde. Utiliser ce gendre de procédé,  c’est aussi  se protéger soi-même du Mal.

Pour Nicolas Lebel, le polar doit être l’expression d’une indignation contre l’apathie du mal. La fiction se nourrit d’une confrontation au fait divers et au drame personnel. Mais le mal est aussi systémique. Regardez le programme de stérilisation et d’empoisonnement de l’eau en Afrique du Sud avant la fin de l’apartheid!  L’auteur est un hypersensible qui a de l’empathie pour autrui. Seo Mi-Ae, elle, se pose la question de savoir comment nous réagirions si nous apprenions que notre voisin est un tueur en série ? En Corée, deux tueurs en série sévissaient sur la ligne 2 du métro. Son quartier ! La ville vivait dans une ambiance compliquée! Elle, elle regardait les crimes de près, elle analysait, elle creusait les détails : des crimes commis un jeudi pluvieux, la couleur de la robe des victimes, etc…

Pour son roman Bonne nuit Maman, elle a été influencée par la phrase d’un de ses lecteurs qui lui a dit que tous les mots qu’il adressait à ses deux enfants pourraient les conduire vers le mal ! Ainsi chacun a sa vision du mal. Mais un auteur est en fin de compte moins influencé par la réalité du mal. Seo Mi-Ae a connu un célèbre profileur coréen qui a fini par prendre sa retraite parce qu’il ne voulait plus se retrouver sur une scène de crime. C’était devenu un vrai traumatisme pour lui. L’auteur, lui, a la distance de la narration.

Le Mal est une identité abstraite mais on constate que, dans les romans,  la plupart du temps, l’issue est favorable. Est-ce nécessaire ? Le mal ne triomphe-t-il jamais ?

Nicolas Lebel  pense qu’incarner le mal c’est essentiel dans la fiction. On a besoin d’avoir un diable ! On peut choisir d’écrire un roman où le mal gagne mais lui préfère finir dans la lumière, quand la justice est passée par là. Il a pourtant écrit aussi une série où le mal gagne, dans laquelle il a dû admettre la défaite du bien.

Bernard Minier pense qu’il s’agit d’une question très importante ! Quand un  auteur de polar écrit un livre qui se termine  bien, il risque un  procès pour naïveté. Manchette, Izzo et les d’autres initiateurs du polar dépeignaient une société où tout est noir. Aujourd’hui, on ne trouve presque plus jamais de fins noires ! Pourtant, tout n’est pas bien qui finit bien. Le mal est toujours là, même après une fin positive. Mais une fin noire répond à certaines attentes. Il lui arrive de changer la fin de son roman, comme dans Lucia, si ses premiers lecteurs (qui sont souvent des lectrices!) trouvent que la première version « manque de sel».

Nicolas Beuglet s’en étonne et dit qu’il ne comprend pas cette volonté que tout finisse mal. A quoi Minier répond que c’est normal puisque le polar  peint le réel. Mais Beuglet rétorque qu’une  fin où l’ordre revient, ça fait du bien. Et sur le ton de la boutade, il se demande comment il va terminer son prochain roman !  Un entre deux, juste pour rester vigilant ?

Seo Mi-Ae ignore combien de personnages elle a tués, elle admet que nombre de ses meurtriers ne sont pas attrapés et elle assume.  Il n’y a pas souvent de fin heureuse chez elle car, en fin de compte,  rien n’est réglé ! Si on écrit autour d’histoires de crimes et de violence, c’est parce que nous avons tous besoin de catharsis !

Le public, enchanté de cette rencontre qui avait répondu à ses attentes, a pu poser quelques questions dont l’une portait sur la noirceur des contes pour enfants évoquée dans Le passager sans visage.  Nicolas Beuglet a rappelé que  les fins de ces contes sont parfois à la limite du gore, comme dans Le petit Chaperon rouge. Minier a ajouté que les Métamorphoses d’Ovide sont elles aussi, très violentes. Il les utilise d’ailleurs dans Lucia.

Une autre question voulait savoir s’il existait un événement tellement noir qu’il ne puisse être écrit ? 

Pour Nicolas Lebel non, mais son travail n’est pas  de raconter un fait divers en soi. Il n’est pas du tout fasciné par les faits divers noirs! Bernard Minier non plus, et il rappelle que les auteurs de polar écrivent de la fiction ! Nicolas Beuglet dit qu’il n’est pas un vautour et qu’il serait mal à l’aise d’exploiter un fait divers terrible en fiction ! Mais Seo Mi-Ae , elle, s’inspire de fait réels et parfois les plus noirs !

Synthèse Christine Defoin

Lucia. Bernard Minier. XO Editions , 2022.

Le passager sans visage . Nicolas Beuglet. XO Editions, 2021.

Bonne nuit maman. Seo Mi-Ae. Matin calme, 2020. Traduit du coréen par Kwon Jihyun et Rémi Delmas.

La Capture – Qui sème les coups récolte la vengeance. Nicolas Lebel. Editions du Masque, 2022.

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Ce texte est soumis à la loi sur la reproduction. Autorisation à demander à inculq@gmail.com.


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